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Les questions qui peuvent se poser
Que disent les professionnels de l'enfance de la résidence alternée?
 

Il existe au moins deux approches incompatibles entre elles, il peut paraître difficile pour un(e) magistrat(e) de devoir « choisir » entre l’une ou l’autre. Cependant une lecture rigoureuse des publications permet de se faire une idée  claire.

Des pédopsychiatres, psychiatres ou des psychologues scientifiques soutiennent que la résidence alternée est la moins mauvaise des solutions lorsque les parents se séparent (la meilleure étant, du point de vue des enfants, qu’ils ne se séparent pas!) Ceux- là s’appuient sur des études rigoureuses portant sur des milliers d’enfants.  Ainsi celle portant sur plus de 3500 enfants[1], qui montre que le bien- être des enfants vivant en résidence alternée est équivalent à celui de ceux vivant en famille unie..

Selon eux la résidence alternée permet d’adoucir le sentiment de perte éprouvé par l’enfant et surtout permet le maintien d’un lien effectif et affectif de l’enfant avec ses deux parents. Lien qu’il est difficile de maintenir lors d’un droit de visite et d’hébergement en pointillé. Les  psychologues scientifiques se rejoignent également pour affirmer qu’en revanche, un enfant privé, ou quasiment privé, de la présence d’un de ses parents à la suite d’une séparation, (alors que les conditions affectives et matérielles avec les deux parents sont réunies) souffre psychologiquement , et ce parfois durant toute sa vie. [2] .

En 2016, le psychologue Gérard Poussin a recensé 44 études publiées entre 1977 et 2013, dont 36 (80%) qui montrent un avantage à la résidence alternée, les autres pouvant être considérées comme neutres[3]. Enfin, des études récentes démontrent l’intérêt de la résidence alternée chez les enfants en bas âge[4].

L’autre approche est celle de psychanalystes, de psychiatres et pédopsychiatres de pratique psychanalytique, qui soutiennent que la résidence alternée serait fortement déstabilisante pour les enfants de moins de six ans ou dont les parents sont en conflit. Que cette affirmation ne s’appuie sur aucun travail scientifique interroge...

Parmi ces opposants actifs, le psychiatre Maurice Berger, entendu à plusieurs reprises par l’Assemblée Nationale, pour donner du crédit à ses théories n’a pas hésité à dévier de façon abusive le nom d’un célèbre pédiatre nord-américain[5]. l'utilisation abusive du nom de ce célèbre pédiatre, sans son consentement, intime que ce sont les convictions personnelles de Maurice Berger qui guident son positionnement plutôt qu’un constat scientifique. Brazelton n’a d’ailleurs jamais réalisé le moindre travail scientifique sur les modes de résidence des enfants de parents séparés.

Le Dr Eugénie Izard, pédopsychiatre, présidente du « Réseau des Professionnels pour la Protection de l'Enfance et de l'Adolescence », farouche opposante à la résidence alternée également, est aussi une lobbyiste active auprès de successives commissions parlementaires.

Cette dernière conteste les centaines d'études scientifiques probantes, portant sur des dizaines de milliers de cas d'enfants de parents séparés et s’étendant sur plusieurs décennies. Elle conteste également le consensus international des 110 chercheurs américains spécialisés ayant directement travaillé sur le sujet des modes de résidence des enfants de parents séparés et qui sont aussi les auteurs directs de ces publications scientifiques. [6]

En revanche le Dr Izard, après l’observation (sans aucun outil de mesure homologué, sans aucun protocole) de 18 enfants, tous issus de sa clientèle privée, conclut que la résidence alternée, même consensuelle, est extrêmement nocive pour tous les enfants.

C'est donc sur la base de l’usage abusif du mot « scientifique » concernant sa publication que le Dr Izard et son « Réseau » se présentent pour exercer un lobbying sur les décisions de justice familiale et sur les avis des différentes commissions parlementaires.

1] Bergström (Malin), et alii, « Preschool children living in joint physical custody arrangements show less psychological symptoms than those living mostly or only with one parent », Acta Pædiatrica, Vol. 107, nº 2, février 2018, pp. 294-300.

https://doi.org/10.1111/apa.14004

[2]  Psychologues du développement

France : Chantal Clot-Grangeat, Chantal Zaouche-Gaudron, Gérard Poussin, Jean Le Camus, Raphaèle Miljkovitch, Stéphane Clerget, Serge Hefez, Roland Broca

USA : Richard A. Warshak, Edward Kruk, William Fabricius  , Linda A., Joan B. Kelly, Michael E. Lamb

Canada : Robert Bauserman, Daniel Paquette

Suisse : Blaise Pierrehumbert

[3]  Cf. Les nouvelles formes de parentalité. Le temps du partage… et l’enfant ? Actes du 7e Colloque printanier du Centre interfacultaire en droits de l’enfant (CIDE) de l’Université de Genève et de l’Institut international des droits de l’enfant (IDE). 19-20 mai 2016, pp. 49-58.

https://www.unige.ch/cide/files/8715/0850/3435/

[4] Fabricius (William V.), Suh (Go Woon), « Should infants and toddlers have frequent overnight parenting time with fathers? The policy debate and new data », Psychology, Public Policy, and Law, Vol. 23, n° 1, février 2017, pp. 68-84.

https://dx.doi.org/10.1037/law0000108

Bergström (Malin), et alii, « Preschool children living in joint physical custody arrangements show less psychological symptoms than those living mostly or only with one parent », Acta Pædiatrica, Vol. 107, nº 2, février 2018, pp. 294-300.

https://doi.org/10.1111/apa.14004

[5] Voir un travail très rigoureux à ce sujet : « Maurice Berger (psychiatre français de pratique psychanalytique) prétend que T. B. Brazelton aurait créé un Calendrier qui dicterait le temps qu’un jeune enfant devrait passer avec son parent “secondaire” (généralement le père) lorsque ses parents sont séparés. Pourtant, ce calendrier n’est référencé que dans les livres de Monsieur Berger et l’Institut Brazelton n’en a jamais entendu parler »

https://blogs.mediapart.fr/pierre-laroche/blog/250714/l-utilisation-inconvenante-du-nom-de-brazelton-par-le-psychanalyste-maurice-berger

[6] Prof. Richard A. Warshak https://sharedparenting.wordpress.com/2014/05/22/45/ 

 

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Conflit entre les parents, résidence alternée impossible... n'est-ce pas un préjugé ?
 

De nombreuses décisions de justice refusent en effet  la résidence alternée arguant d'un conflit entre les parents.

Cependant, dans de très nombreux cas, la mésentente des parents se cristallise principalement autour de la résidence des enfants. Dans une décision frappée au seing du bon sens, un(e) juge de Lyon souligne: « Le conflit qui oppose deux parents ne peut servir utilement à faire échec à la demande de résidence alternée, ce qui reviendrait à ne faire jamais droit à une telle demande et à nier tout droit à la résidence alternée de l’enfant, dans la mesure où portée devant le juge, cette demande résulte nécessairement de l’existence d’un conflit. » [1]

Par ailleurs, un article de Guillaume Kessler [2] commentant une décision de la cour d’Appel de Chambery [3] rappelle que, comme de nombreux enfants, «l’enfant était de toute façon tout autant confronté au conflit parental à l’occasion d’un autre mode de résidence […]» [3].

Une cour d'appel belge, citée dans une synthèse du Sénat, verbalise l'effet pervers du véto qu'imposerait un conflit entre les parents : " faire de l'entente entre les parents une condition essentielle et préalable de l'hébergement égalitaire serait inapproprié, « cela pourrait encourager le parent opposé à la demande à se figer dans une attitude par principe hostile et négative ; Au contraire, dès lors qu'il est établi que l'hébergement égalitaire rencontre l'intérêt de l'enfant, il appartient aux parents responsables de mettre tout en œuvre pour renouer entre eux le dialogue nécessaire à l'épanouissement de leur fils ». C'est donc l'intérêt de l'enfant qui doit prévaloir dans la détermination de la résidence".[4]

Enfin une méta-analyse [5]  portant sur quarante études montre, contrairement à l'idée communément admise,  que la qualité de la relation parent-enfant est un indicateur plus fiable dans l’évolution des enfants que le conflit entre les parents.

Selon la chercheuse, la résidence alternée est associée à une meilleure évolution des enfants que la garde exclusive alors même que le niveau de conflit au moment de la séparation pouvait être considéré comme élevé.

Ceci s'explique en partie car, la résidence alternée ne faisant pas un gagnant et un perdant, les deux parents peuvent continuer de partager la vie de leur(s) enfant(s) sans la douleur insupportable d’en être séparés. Le conflit s’en trouve donc  en grande partie vidé de son contenu et par conséquent, s'apaise.

Ce que tendent à confirmer les dernières statistiques de l’INSEE [6] puisque les résidences alternées mises en place le sont durablement (si le conflit entre les parents perdurait il est probable que ceux-ci reviendraient devant le JAF).

[1]CA Lyon, Pôle 3, 3ème ch., 3 février 2011, RG n° 09/16638.

[2]maître de conférences à l’université de Corse, EA Patrimoine et entreprises

[3] CA Chambéry, 3ème ch, 23 janv. 2017, n° 16/01361 : JurisData n° 2017-000892/http://www.tendancedroit.fr/systematisation-judiciaire-de-residence-alternee/

[4] 2021   https://www.senat.fr/lc/lc296/lc296_mono.html 

[5] Nielsen (Linda), “Re-examining the research on parental conflict, coparenting, and custody arrangements”, Psychology, Public Policy, and Law, Vol. 23, n° 2, mai 2017, pp. 211-231

[6] https://www.insee.fr/fr/statistiques/3689165 encadré 1

Evoquer le niveau d'entente plutôt que le  conflit
 

On l'a vu dans l'article ci-dessus le conflit est pratiquement consubstantiel à la séparation des couples, bien peu y échappent. De notre point de vue il ne devrait pas servir de critère à un magistrat.

En revanche il semble pertinent qu'un magistrat mesure le niveau d'entente entre les parents en ce qui concerne les principes éducatifs : l'importance accordée à l'école, la santé, la culture, l'hygiène, la sécurité, la place laissée aux écrans, la pratique d'une activité sportive ou artistique, la pratique d'une religion etc...

On peu imaginer qu'un enfant confronté à deux systèmes de valeurs très différents à propos de son éducation rencontrerait des difficultés à se construire.

L'intervention du magistrat pour exiger des parents qu'ils présentent un plan parental précis avant d'accorder une résidence alternée aurait alors toute sa légitimité. L'intérêt de l'enfant exigeant que les parent s'entendent sur des principes éducatifs cohérents.

 

 

Comment analyser la période entre la séparation et le passage devant la/le juge?
 

Alors que selon  l'article 373-2-11. "Lorsqu'il se prononce sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale, le juge prend notamment en considération :« 1° La pratique que les parents avaient précédemment suivie ou les accords qu'ils avaient pu antérieurement conclure [1] au moment de la séparation, les professionnels des affaires familiales rencontrent des parents dans une situation de stress extrême, puisque se joue la partie la plus douloureuse de la séparation, celle d’avec les enfants.

Il est alors difficile pour le/la juge de se faire une idée du climat habituel de la famille surtout si les parents sont conseillés par des avocats partisans de l’exacerbation du conflit.

Dans cet entredeux, celui des parents qui souhaite la résidence exclusive a tout intérêt à adopter des stratégies cousues de fil blanc mais qui, hélas, ont fait leurs preuves!

La première est de multiplier les provocations, l’objectif étant de pousser l’autre parent à «la faute», rédhibitoire si possible. La seconde est de déposer des plaintes fallacieuses, car même si aucune enquête n’a été réalisée, il est courant que le/la plaignant(e) soit assimilé(e) à une victime, vis à vis de laquelle notre culture nous conduit à avoir de l’empathie.

La troisième stratégie est de faire obstacle à tout contact prolongé de l’enfant avec son autre parent car la « pratique antérieure» de la relation entre parents et enfant fait partie des critères essentiels retenus par la/le juge pour décider de la résidence de l’enfant. Or la durée des procédures permet à cette «pratique antérieure » de s’installer entre la séparation et l'audience devant la/le juge.

Le parent qui s’oppose à la résidence alternée sait qu’il renforce ainsi ses chances d’obtenir la garde exclusive.

S’engage alors une sorte de bras de fer, qui pousse les parents à se monter l'un contre l'autre aux dépends de l’intérêt de l’enfant, générant chez lui un grand sentiment d'insécurité.

C'est là toute  la difficulté de l'intervention du juge qui doit  discerner l’intérêt de l’enfant à travers ces manœuvres parentales .

Nous pensons qu'entre la séparation et le premier jugement une résidence alternée de droit devrait pouvoir être mise en place en attendant le passage devant le Juge aux affaires familiales. Ainsi celui-ci aurait alors une vision beaucoup plus claire de la capacité de chaque parent à respecter les droits de l'enfant et ceux de l'autre parent avant de prendre sa décision.

[1] https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000776352, article 5

 

Les formations de l'Ecole Nationale de la Magistrature sur l’intérêt de l’enfant en cas de séparation sont-elles neutres?

 

Le député Olivier Véran, devenu depuis ministre de la santé, interrogeait en juillet 2018 Mme la Garde des sceaux pour savoir « si des formations basées sur des concepts scientifiques sont ou seront dispensées par l'École nationale de la magistrature ».[1]  Ceci afin d’aider les juges, alors qu’ils sont confrontés à deux approches contradictoires des professionnels de l’enfance sur l’intérêt de l’enfant en cas de séparation.

L’ENM , par la bouche de la ministre de la justice, a rappelé son attachement à permettre aux juges de "disposer des connaissances scientifiques pouvant être mobilisées dans la prise de décision judiciaire, notamment en matière familiale" . L’ENM explique qu’une de ses formations « se fonde essentiellement sur la théorie de l'attachement de John Bowlby ». Or les contributions scientifiques récentes dans l’étude du développement psychique de l’enfant montrent que cette théorie doit être élargie et "accorder une plus grande attention au rôle du père dans le développement affectif de l’enfant, tenir compte, sans a priori, du style d’interactions qu’il favorise". Sans compter sa nécessaire adaptation au cas des couples homosexuels. Ce qui n'empêche pas les formateurs , qui interviennent à l’ENM, de se référer aux contributions psychanalytiques de la théorie de l'attachement et aux contributions scientifiques antérieures aux années 70 et non  aux contributions scientifiques récentes. Il est  troublant de savoir que M Berger, lobbyiste actif contre toute législation favorisant la résidence alternée a enseigné  longtemps à l'ENM.[2]

Dans la même réponse  l'ENM affirme qu’elle permet également « aux magistrats de suivre une formation diplômante: «L'attachement : concepts et applications cliniques», organisée par l'université Paris Diderot (Paris VII). Mais les enseignants y diffusent également l'interprétation psychanalytique de  la théorie de l'attachement  et non la version scientifique...

 Cette même université  propose une spécialité "expert judiciaire" spécialisée en psychanalyse. Le descriptif de cette formation explique que le but est d'aider les magistrats dans leur processus de décision notamment vis-à-vis des divorces et des questions de garde d'enfants.

La psychanalyse a cependant fait l’objet d’un rapport de l’INSERM en 2004 qui démontre qu’elle est sans efficacité sur le plan thérapeutique et a été désavouée en 2010 par la Haute Autorité de Santé pour sa fausse prétention à pouvoir soigner l’autisme.[3]

Valérie Chaput, psychologue à l'Hôpital Robert Debré (évoquant l'approche psychanalytique vis-à-vis de l'autisme) souligne il n'existe pas à ce jour de publication scientifique de psychanalystes, «puisque la psychanalyse ne se réclame pas d'une science basée sur des preuves » … !?[4]

Pour prendre leurs décisions il semblerait sage que les juges, qui ne sont pas des experts en psychothérapie (comme l’auteur de cet article d’ailleurs), écartent par prudence le recours à une discipline, pour le moins, contestée.

[1] https://www.nosdeputes.fr/15/question/QE/10758

[2] https://www.lefigaro.fr/vox/societe/maurice-berger-non-la-violence-gratuite-n-est-pas-due-a-la-ghettoisation-20191115

[3] https://www.lexpress.fr/actualite/societe/sante/autisme-la-psychanalyse-desavouee-par-la-haute-autorite-de-sante_1081840.html

[4] https://www.topsante.com/medecine/psycho/autisme/autisme-approche-psychanalytique-approche-comportementale-quelles-differences-247469

 

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