Une loi serait-elle utile?
Le refus de la résidence alternée apparaît parfois comme un problème de société marginal .
Pourtant selon la DREES [1], plus de 425 000 couples se séparent chaque année [2] dont 186 400 passent devant le juge aux affaires familiales.
Selon les statistiques du ministère de la justice les deux parents sont d’accord sur la résidence des enfants dans 80% des cas [3] . Nous contestons ce chiffre [4) et surtout le terme d'« accord » qui minore le problème mais, en admettant qu’il soit correct, sachant selon ces mêmes statistiques qu'il y 1,5 enfants par couple en moyenne , c'est donc le cas de près de 48 000 enfants mineurs par an dont la résidence serait un litige.
Dans n’importe quelle autre catégorie de la population le chiffre de 48 000 personnes par an justifierait que les responsables politiques et les médias se penchent sur la question !
[1Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques
[2] publication 2020 , https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sources-outils-et-enquetes/les-ruptures-familiales-les-separations-et-les-familles-separees
[3] statistiques du ministère de la justice en 2019 : https://www.justice.gouv.fr/art_pix/2-PARTIE1_References_stastiques_justice_2019_16x24.pdf
[4] "beaucoup d’hommes, ayant intériorisé une répartition traditionnelle des rôles, n’osent faire valoir ce droit." https://www.cairn.info/revue-le-debat-2018-3-page-173.htm page 9
L’article du code civil 373-2-9 [1] qui statue sur la résidence de l’enfant après la séparation de ses parents ne précise pas ce qu’est l’intérêt de l’enfant. Or son interprétation varie selon les juges et les juridictions, laissant trop de parents dans l’incompréhension des décisions rendues, les transformant soit en «vainqueur » soit en «vaincu » en fonction d’un processus ressenti comme une loterie. [2]
Outre que ce sentiment n’honore pas la justice, le «flou » qui entoure les décisions incite le justiciable à revenir maintes fois devant le juge et fait de l’enfant l’enjeu d’une guerre dont il est la première victime.
Rendre la résidence alternée obligatoire n’aurait pas de sens . Mais inscrire dans la loi qu’elle est la solution qui respecte le mieux l’intérêt de l’enfant serait rappeler aux parents comme aux magistrats, qu’il est de leur devoir de mettre en place une résidence en alternance sur des temps les plus équitables possibles .
Le haut conseil à la famille (HCF) ne disait pas autre chose en 2014 [2] : «Plutôt que de faire de la résidence alternée un droit absolu inscrit dans la loi, il est souhaitable d’affirmer que le juge doit prioritairement rechercher les conditions d’une résidence alternée, et motiver l’impossibilité éventuelle de la mettre en œuvre»... en abordant avec prudence cependant le motif de la mésentente des parents, dans la mesure où il incite le parent réticent à ce mode de résidence à alimenter le conflit.
[1] https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000032207454/
[2] lors de la consultation en ligne lancée en novembre 2021 pour la préparation des Etats Généraux de la Justice , sur les 14 369 ayant répondu, 35% estimaient la justice "injuste.
http://www.hcfea.fr/IMG/pdf/2014_04_LES_RUPTURES_FAMILIALES.pdf
Les Affaires Familiales concernent 65 à 70% des affaires traitées par la justice française.
Que la justice familiale ne comble pas les attentes des justiciables, le rapport de la commission des lois du Sénat le dénonçait déjà en 2014 [1]. Or cette insatisfaction incite les justiciables à revenir maintes fois devant la justice . C'est donc un personnel judiciaire important qui est mobilisé et qui devient, de ce fait, insuffisant, dans une institution qui souffre déjà d'un manque de moyens.
Par ailleurs la souffrance psychique du parent éloigné de son enfant contre son gré est considérablement amplifiée s’il estime la décision judiciaire arbitraire. Beaucoup trop de parents désespérés souffrent de dépression, perdent pied, se paupérisent, ont besoin d’une assistance, qui a également un coût.
Les enfants éloignés d'un de leur parent quant à eux semblent résilients durant leur jeunes années mais cette souffrance explose au moment de l'adolescence, les enseignants et les parents gardiens le savent bien. Or le mal être des adolescents a un coût lui aussi .
Les services de police quant à eux passent un temps précieux à enregistrer des plaintes de parents, pour non représentation d’enfant (NRE) , ou pour alimenter des procédures à charge. Ainsi plus de 32 000 plaintes ont été déposées pour non représentation d’enfants en 2017 [2] , orientées vers les parquets 40% de ces plaintes ont été poursuivies, là encore en mobilisant des magistrats déjà débordés.
Les familles monoparentales, 25% des familles [3], beaucoup plus fragiles face à la précarité, à l'emploi, à l'éducation [3] restent une préoccupation constante des services et des associations qui luttent contre la pauvreté.
Développer la résidence alternée c'est limiter le recours à la justice, diminuer le nombre d'enfants et de parents en souffrance, permettre aux services de police de se consacrer à d'autres tâches (secourir les enfants maltraités ou les femmes victimes de violence par exemple), diminuer le nombre de familles monoparentales ... par conséquent économiser substantiellement l'argent du contribuable.
[1] Justice aux affaires familiales : pour un règlement pacifié des litiges. Rapport d'information n° 404, fait au nom de la commission des lois, Paris, Sénat, 26 février 2014, page2 https://www.senat.fr/notice-rapport/2013/r13-404-notice.html
[2] https://questions.assemblee-nationale.fr/q15/15-13931QE.htm
[3] https://www.insee.fr/fr/statistiques/5422681#titre-bloc-10 : 24 % des familles monoparentales vivent dans un logement surpeuplé, En 2018, 41 % des enfants mineurs vivant en famille monoparentale vivent au-dessous du seuil de pauvreté monétaire et sont donc pauvres, contre 21 % de l’ensemble des enfants
C'est une des avancées notables du féminisme que d'avoir permis aux deux parents de partager les soins, le temps, les responsabilités, les plaisirs et les inquiétudes relatifs aux enfants . [1]
Il est du devoir du législateur que ce partage, qui est dans l’intérêt de l’enfant et de chacun des parents, puisse perdurer au-delà d’une séparation…
La coparentalité est ressentie comme un progrès par l’ensemble de la société, le législateur en tant que représentant des citoyens se doit d’accompagner ce progrès en adaptant la loi.
[1] https://www.cairn.info/revue-le-debat-2018-3-page-173.htm
Les études convergent pour prouver que la résidence alternée est la moins mauvaise des solutions pour l'enfant lorsque les parents se séparent.[1]
Rendre la résidence alternée obligatoire n’aurait pas de sens mais inscrire dans la loi qu’elle est la solution qui respecte le mieux l’intérêt de l’enfant c’est encourager la coparentalité [2] au-delà de la séparation. C’est affirmer que le parent qui s’accapare l’enfant lui est tout aussi préjudiciable que celui qui s’en désintéresse .
Ainsi chacun saura, parents comme magistrats, que dans l’intérêt de l’enfant, il est de son devoir de mettre en place une résidence en alternance sur des temps les plus équitables possibles.
[1] voir référence de l'article Résidence alternée, une bonne solution pour l'enfant ?
[2] Coparentalité ici est entendue dans le sens de la collaboration, du partage équitable des responsabilités, des soins, de l’éducation entre les deux parents, de leur implication équivalente auprès de l’enfant.
Rouyer Véronique, « Coparentalité : un mythe pour quelles réalités ? », Empan, 2008/4 (n° 72), p. 99-105. DOI : 10.3917/empa.072.0099.
A un sondage de l'IFOP en décembre 2017, qui demandait aux français :" êtes-vous favorable ou opposé à la généralisation de la résidence alternée comme mode de garde en cas de séparation ou de divorce" 76% des français ont répondu qu'ils y étaient favorables. [1]
En effet la coparentalité s’est peu à peu construite et diffusée et s’est imposée aujourd'hui comme le modèle d’organisation au sein d’une majorité de familles. La résidence alternée apparaît donc aux français comme le prolongement logique de cette coparentalité si une séparation survient.
Parallèlement il apparaît que les familles monoparentales rencontrent des difficultés plus grandes: fragilité psychologique pour les enfants, accompagnées d’une fragilité face à l’échec scolaire, difficultés financières pour le parent gardien accrues par un accès plus compliqué sur le marché du travail … . Ainsi selon l'INSEE en 2020 , 89% des mères d'enfants en résidence alternée travaillent contre 67% des mères des familles monoparentales.[2]
Tous ces problèmes sont connus et visibles, par conséquent la résidence exclusive apparaît à beaucoup de citoyens, acteurs ou spectateurs, comme la moins bonne des solutions après une séparation .
[1] https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2018/03/3945-1-study_file.pdf
[2] https://www.insee.fr/fr/statistiques/5227614
Certes Il existe des lobbys opposés à la résidence alternée bruyants… bruyants mais peu représentatifs.
D’une part celui des personnes, attachées à l’image d’une famille traditionnelle patriarcale où chacun a un rôle défini. Si une séparation survient, les rôles dévolus au père et à la mère doivent, selon elles, perdurer et la résidence des enfants doit donc être confiée à la mère. Évidemment les couples homosexuels sont déniés. Si ce modèle a incontestablement connu de beaux jours il ne semble pas être le modèle suivi par les couples du XXIème siècle.
La seconde opposition vient des lobbys de certains courants "féministes" [1] . Pour ceux-là les pères sont intrinsèquement coupables de violences diverses et leurs demandes de résidence alternée mues seulement par leur désir de nuire à la mère ou d’échapper au versement d’une pension alimentaire. Pour ces opposantes, à l'évidence, l'amour paternel n'existe pas. (Nous n'avons pas d'information sur leur position concernant la résidence alternée pour les enfants de couples homosexuels.)
Ces lobbys sont d’autant plus bruyants que l’Etat leur offre la gratuité de leur campagnes de communication sur les radios et télévisions publiques en sus de sommes substantielles [2]. Pour ces lobbys la résidence alternée est un enjeu de la guerre des sexes et l’intérêt de l’enfant un élément soigneusement ignoré.
En Belgique la lecture des féministes vis à vis de la résidence alternée est radicalement différente, elle est envisagée comme un progrès à la fois pour les enfants et pour les mères, un moyen efficace de lutter contre le maculinisme [3]. Nous adhérons totalement à cette vision.
[1] S'agit il vraiment de féministes lorsqu'elles luttent contre le changement des mentalités et pour la préservation des stéréotypes liés au modèle patriarcal ? Alors qu'il est incontestable que la coparentalité participe à l'égalité femmes/hommes...
2] Ainsi la FNSF (fédération nationale solidarité femmes) violemment opposée à la résidence alternée percevait 1 445 000€ en 2017 https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/les-subventions-aux-associations-luttant-contre-les-violences-sexistes-et-sexuelles-integralement-maintenues/
https://www.gouvernement.fr/partage/10112-attribution-du-label-grande-cause-nationale-2018
Hélas, de nombreux députés des législatures précédentes et de nombreux médias ont été abusés en prêtant une oreille naïve aux arguments pseudoscientifiques d'opposants à la résidence alternée.
Les études véritablement scientifiques montrent que le bien- être des enfants vivant selon ce mode de garde est équivalent à celui de ceux vivant en famille unie.[1]
Mais des opposants actifs à ce mode de résidence ont réussi à se présenter comme des experts incontournables à plusieurs reprises devant l’Assemblée Nationale . Ainsi le psychiatre Maurice Berger, pour donner du crédit à ses théories n’a pas hésité à dévier de façon abusive le nom d’un célèbre pédiatre nord-américain (T-B Brazelton) et à lui prêter des dogmes qu'il n'a jamais prônés [2]. L'utilisation abusive du nom de ce célèbre pédiatre, sans son consentement, intime que ce sont les convictions personnelles de Maurice Berger qui guident son positionnement plutôt qu’un constat scientifique. Brazelton n’a d’ailleurs jamais réalisé le moindre travail scientifique sur les modes de résidence des enfants de parents séparés.
Le Dr Eugénie Izard, pédopsychiatre, présidente du « Réseau des Professionnels pour la Protection de l'Enfance et de l'Adolescence», farouche opposante elle aussi à la résidence alternée, est également une lobbyiste active auprès des successives commissions parlementaires.
Cette dernière conteste les centaines d'études scientifiques probantes, portant sur des dizaines de milliers de cas d'enfants de parents séparés et s’étendant sur plusieurs décennies. Elle conteste également le consensus international des 110 chercheurs américains spécialisés ayant directement travaillé sur le sujet des modes de résidence des enfants de parents séparés et qui sont aussi les auteurs directs de ces publications scientifiques. [3]
En revanche le Dr Izard, après l’observation (sans aucun outil de mesure homologué, sans aucun protocole) de onze enfants (?!), tous issus de sa clientèle privée, conclut que la résidence alternée, même consensuelle, est extrêmement nocive pour tous les enfants. .
C'est donc sur la base de l’usage abusif du mot « scientifique » concernant sa publication que le Dr Izard et son « Réseau » se présentent pour exercer un lobbying sur les décisions de justice familiale et sur les avis des différentes commissions parlementaires.
. [1] Bergström (Malin), et alii, « Preschool children living in joint physical custody arrangements show less psychological symptoms than those living mostly or only with one parent », Acta Pædiatrica, Vol. 107, nº 2, février 2018, pp. 294-300.https://doi.org/10.1111/apa.14004
Psychologues du développement favorables à la résidence alternée:
France : Chantal Zaouche-Gaudron (travail autour de la résidence alternée pour les jeunes enfants), Gérard Poussin (les enfants en résidence alternée ont une meilleure estime d’eux mêmes), Jean Le Camus (prouve que la résidence alternée convient aux enfants), Raphaële Miljkovitch (les liens d’attachement envers son père sont de même nature et même qualité que ceux avec la mère).
USA : Richard A. Warshak, Edward Kruk, William Fabricius (prouvent que la résidence alternée convient aux enfants), Linda A. Nielsen (prouve que la résidence alternée ne nuit pas aux très jeunes enfants), Joan B. Kelly, Michael E. Lamb (prouve que les conflits parentaux ne justifient pas la « garde exclusive », alternance courte pour les très jeunes enfants).
Canada : Robert Bauserman (a réalisé une méta-analyse qui prouve que la résidence alternée est meilleure que la « garde exclusive »), Daniel Paquette (les enfants ont besoin d’une relation d’activation en plus de la relation d’attachement, les pères sont généralement plus activants que les mères).
Suisse : Blaise Pierrehumbert (il n’existe pas de hiérarchie des rôles parentaux)
[2] https://blogs.mediapart.fr/pierre-laroche/blog/250714/l-utilisation-inconvenante-du-nom-de-brazelton
Hélas cette "infox" a la vie dure, le 10 novembre 2021 encore, lors d'une émission de RMC consacrée à la résidence alternée, le pédopsychiatre Bernard Golse évoquait ses doutes en s'appuyant sur le soi-disant travail de Brazelton.
3] Prof. Richard A. Warshak https://sharedparenting.wordpress.com/2014/05/22/45/
Inscrire la résidence alternée comme principe dans la loi c’est rappeler clairement leurs devoirs à tous les parents en réaffirmant qu’ils se séparent de leur conjoint mais pas de leurs enfants. Le message d’une société qui encourage la résidence alternée est une forme de condamnation morale des parents qui se désinvestissent de leur responsabilité parentale . Or en l’état actuel de la loi française, hormis ce qui concerne la pension alimentaire, un parent peut très facilement se désengager de son rôle parental . Ce désengagement est ressenti comme un abandon par l'enfant et le fait profondément souffrir.
Une société préoccupée de l’intérêt de ses enfants ne devrait pas le permettre. Il n'est évidemment pas question de rendre la résidence alternée obligatoire car un parent peut avoir de multiples raisons légitimes de la refuser mais il devrait motiver son refus autrement que par son confort personnel.